Les hommes creux

Publication : 30/10/2017 20:45
Du 27/04/2017 au 24/05/2017


exposition du 27 avril au dimanche 24 mai 2017.

Université Catholique de Lille

60, boulevard Vauban- 59000 Lille

Thierry Diers, Les Hommes Creux

 

Image Hurlante

 

 

Quand Thierry Diers, qui travaille avec les grandes entreprises depuis de nombreuses années, leur a proposé de financer un catalogue sur son travail de peintre, beaucoup ont donné leur accord de principe. Lorsque l’artiste leur a présenté le projet précisément –son contenu, ses images, l’esprit qui l’habite – toutes ont poliment fait machine arrière.

Qu’y-avait-il de si dangereux pour que de si solides structures estiment qu’il y ait un risque à aider à la naissance d’un livre d’images ? Parce qu’ils y ont vu leur propre portrait ?

Du fait de ces deux activités, architecte et peintre Thierry Diers connaît bien les grands décideurs. Parfois, il leur conçoit des bureaux et des bâtiments, à d’autres moments, il leur propose certaines de ses peintures pour apporter humanité et sensibilité à ces endroits parfois trop calibrés pour la rentabilité, et où les murs portent les traces de rapports humains à la saveur parfois assassine. Thierry fût donc un témoin direct de ses échanges qui n’ont lieu que dans le monde du travail, arène sociale où s’escriment regards moqueurs, commentaires lapidaires, fausses salutations et vrais coups de poignard dans le dos. Thierry Diers voulait illustrer ces « poignées de mains qui ne se font jamais », les disgrâces, les messes basses, …

C’est grâce à cette bicéphalie professionnelle et humaine que la présente série a vu le jour. C’est l’architecte qu’on convoque dans ces bâtiments, afin de lui confier quelque mission. Traité de ses propres dires comme « l’artiste » (autant dire, dans ce monde, « l’ahuri »), les patrons et technocrates le laissent pénétrer leur intimité, baissant leur garde. Lui est apparemment inoffensif. Il ne tient pas les cordons de la bourse, ne vise pas le poste de son sous chef, et n’ira cafter à personne ce qu’untel à dit d’un autre une fois la porte fermée. Les loups pensent qu’un agneau est en balade dans la meute, et pourtant…

L’architecte avait le peintre dans les poches (à moins que ce ne soit l’inverse), et c’est bien plus qu’en qualité de témoin passif que Thierry Diers a observé ces échanges qui n’ont d’humain que le nom. C’est ici que la schizophrénie de l’activité de Diers trouve tout son sens : l’architecte comme le peintre est tout entier tourné vers la compréhension et l’expression de la construction des rapports entre les êtres.

Thierry Diers est un peintre expressionniste abstrait. Ses toiles, d’ordinaire, présentent de grands salves de couleurs, violemment ordonnées sur le plan. Elles sont sentimentales, intimes et universelles, invitent à l’introspection, à l’émotion, ou encore à un certain rapport physique avec la matière picturale. Il y est rarement question de figure humaine, jamais de politique. Pourtant ici, l’artiste a ressenti le besoin urgent de représenter directement ce dont il a été témoin. La série des « Homme creux » est une anomalie dans le parcours de Diers, un surgissement impératif qui commandait une affirmation claire. Dans le texte qui suit, Yves Michaud, effectue une rapide comparaison entre Diers et le peintre américain Philip Guston, illustre expressionniste abstrait. Ce qu’il faut mentionner, c’est que Guston, avant d’être un des plus grands non-figuratifs des années 50 et considéré alors comme l’égal de Pollock, fut un peintre politique forcené qui dénonçait les violences raciales et sociales, et qu’il reprit les chemins de la figuration en 1970, peignant le racisme et l’impérialisme, déclarant que l’art abstrait, dans les temps critiques, était impropre à parler du monde et encore moins à le changer. Il fut mis à bas par la critique et une partie du milieu de l’art. S’il est malaisé de hiérarchiser les genres de peintures, Guston, comme Diers ont chacun ressenti la pulsion de dire le réel de la façon la plus explicite, bémolisant leur habituelle épuration pudique des moyens. En 2015, les images ont gardé toute leur force. En Janvier à Paris, une dizaine de personnes ont été tuées pour des images. A l’heure où j’écris ces lignes, on parle d’une éviction des Guignols de l’info. Cet ouvrage est autoédité, alors qu’il devrait en être autrement. En 2015, oui, les images ont gardé toute leur force.

 

Nicolas-Xavier Ferrand