Drawings

Published : 10/30/17, 8:55 PM
From 3/9/17 to 4/8/17


exhibition from March 9 to April 8, 2017

Convergences Gallery- Valerie Grais

22, rue des Coutures Saint Gervais- 75003 Paris

Texte de Daniel Dobbels - La fin des désenchantements (dessins du temps libre)

 

Dessins sensibles le temps acceptant de se distendre, à une « clause muette » qui n’exclue ni n’interdit rien, si ce rien n’est pas mortifère. Ils donnent à voir et à comprendre qu’aucun de leurs chapitres ouverts n’est destiné à se refermer brutalement et clos avant l’heure. Il y a en eux un droit gagné – élaboré depuis des années – qui pourrait se définir ainsi : celui d’avoir droit ou, plus justement, voix au chapitre. Non pas pour élever la voix et céder à l’amplification d’une clameur qui serait restée sourde, conduite dès lors à devenir elle-même assourdissante, mais pour faire part d’une complexité vitale, où chaque rapport pour se nouer doit surmonter une faiblesse d’être inimaginable, faire preuve d’une subtilité, d’une attention, d’une circonspection exacte. Chaque dessin est, ici, soucieux de ne pas céder à la puissance d’un dessein, à la tentation d’un destin. Il conjure l’emprise.

 

Il ne procède que de la plus ancienne vigilance (l’enfant en détient le secret) veillant à ce que les choses se passent et naissent, s’étreignent et s’écartent, suivant une profonde loi du libre-échange. Attention élémentaire qui mûrit avec le temps mais ne vieillit pas et ne s’enkyste pas. Avant même que le nom de « liberté » soit prononcé et écrit (et quand cela advient, Eluard le savait, il est déjà trop tard : le pire s’est produit), il flotte, se teint, se restreint, s’étend légèrement, insiste peu, se greffe sans blesser, se sent aimé de la visibilité et, ainsi, se déploie en un milieu favorable. Avènement qui n’est pas d’hier, mais jouit du présent qui se dépose en lui et – miracles discrets – lui expose les chances nouvelles (liens, métamorphoses, fluidités, concrétions heureuses, structures d’entente) qui se tenaient là où nul a priori ne pouvait apparaître comme dominant.


Thierry Diers tire ses lignes (et les formes qui s’y figurent, s’en distinguent, s’y replient ou s’y nichent, s’en éloignent et prennent corps) d’une mémoire que les temps refusent de circonscrire. Les morts d’hier ne sont pas jaloux des êtres qui viennent vivre sous ses yeux et d’entre ses mains, une existence qu’ils savent fragile mais inespérée. Veillerait sur elle cette « voix de l’enchanteur mort » (Merlin) à laquelle Apollinaire fait dire : «  je suis mort et froid. Mais tes mirages ne sont pas inutiles aux cadavres ; je te prie d’en laisser une bonne provision à la disposition de ma voix. Qu’il y en ait de toutes sortes : de toute heure, de toute saison, de toute couleur et de toute grandeur… « (« L’Enchanteur pourrissant », éd. Poésie/Gallimard, p.29). Sans oser vouloir hausser le ton (la musicalité des dessins de Thierry Diers en serait affectée, elle qui semble s’entendre en demi-teinte, pour ne jamais être étouffée), on serait tenté pourtant  d’ajouter aux vœux de Merlin : de tous les mondes. A la condition que ceux-ci ne soient assignés par aucune frontière, ne soient limités par aucun état ou domaine tenu de main de maître par l’on ne sait quel propriétaire forcené. Les œuvres que l’on découvre et qui s’offrent à notre regard sont migrantes, de passage, limitrophes mais essentiellement apatrides; les lieux qu’elles visitent se situent entre le monde des vivants et le monde des morts, mais elles témoignent d’une attention pour tous. Elles sont, mystérieusement, utiles. Elles exaucent (exhaussent aussi, sans jamais prendre les faits d’apparition de haut) une attente et une errance que l’effroi ou la peur ne contraignent plus. Fin des intimidations, fin des humiliations, fin des espoirs de conquête assassins. Une liberté de ton merveilleuse (elle n’est exempte d’aucune inquiétude, reste soucieuse des tremblements qui pourraient la secouer ou la menacer) déploie ses interrègnes. Elle se fait l’écho (parmi tant d’autres possibles approches ou résonances) de cette autre parole de l’enchanteur : « Ô riche voyageur, je suis incirconcis et baptisé, et pourtant j’ai été à Jérusalem, mais par d’autres chemins que le chemin de croix, et j’ai été à Rome par d’autres chemins  que tous ceux qui y mènent… ». L’impression donne à rêver : toutes les voies tracées dans chaque dessin, fussent-elles seulement indiquées, esquissées, ou encore liées à un temps T, sont des issues, trouvées sur toutes sortes de continents. Leurs visibilité provient, la plupart des fois, des marges non tracées où les forces encore à venir semblent latérales, comme si Thierry Diers laissait advenir le moindre événement notable d’un à côté (d’un point du temps et de l’espace où la lumière n’est jamais aveuglante mais propice aux nuances d’être les moins comprimées, dégagées de toute forme d’oppression). Ligne de partage de stricts égards : ce qui (se) passe sous nos yeux est d’hier et d’aujourd’hui. Les traits qui en émanent sont souverains et joueurs… Nulle clause à remplir pour en distiller les accords suivant ses propres rêveries.

 

Paris, février 2017